Que fait l’Europe pour sa sécurité énergétique ?
En collaboration avec l'Université de Nîmes et le Mouvement européen Gard, la Maison de l'Europe de Nîmes a accueilli Mme Irène Tolleret le 16 décembre à 18h pour une conférence-débat sur l'Europe et sa sécurité énergétique. Irène Tolleret, qui est viticultrice dans l’Hérault, près du Pic Saint-Loup, est députée européenne depuis 2019, dans le groupe parlementaire RENEW (Renaissance). Plus de 30 personnes étaient présentes et ne se sont pas privées de poser des questions.
La guerre en Ukraine a bouleversé l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne. Pour diminuer le risque de manque de gaz ou d’électricité, les ministres de l'énergie européens ont approuvé en juillet 2022 le plan « Repower EU » pour rendre l'UE beaucoup moins dépendante des importations de gaz et pétrole russes. Irène Tolleret a contribué aux travaux sur ce plan et sur le projet d'un fonds européen pour une transition juste.
Avant l’intervention de la députée européenne, Mme Véronique Thireau, économiste à Unîmes (Unité de recherche sur les risques émergents), a exposé un certain nombre de principes de réflexion des économistes, pour éclairer les choix des citoyens et des décideurs.
Elle a présenté trois axes de réflexion et d’étude :
Les formes d’organisation des marchés : concurrence ou monopole, comment sont déterminés les prix et les quantités, quelles sont les contraintes sur les marchés (démographie, comportements des personnes…).
Les risques et leur mode de partage : risques financiers ou techniques, gestion des sols, sécurité, risques écologiques, risques de disparition de savoir-faire : par exemple l’industrie nucléaire manque de soudeurs avec les qualifications nécessaires), en estimant les coûts internes et les coûts externes. Exemple donné : une voiture consommant des agrocarburants et faisant 15 000 km/an utilise une surface agricole qui pourrait nourrir 9 personnes.
Le partage des richesses créées. La « rente » est « prix moins coûts » : elle doit être partagée entre les producteurs et les distributeurs. Pour l’énergie, s’ajoute un problème de matières premières, et une asymétrie dans les informations entre producteurs, distributeurs et consommateurs. La Commission européenne prépare une réforme du marché de l’électricité : actuellement le prix du marché en Europe est basé sur le coût de production des centrales appelées en dernier à produire pour satisfaire la demande (coût de production de 1 kWh supplémentaire le plus élevé, actuellement c’est généralement une centrale au gaz), et les consommateurs français ont l’impression de ne pas profiter de la très forte proportion de nucléaire dans la production d’électricité française.
La parlementaire européenne Irène Tolleret pendant sa présentation
Mme Irène Tolleret a ensuite fait une présentation, sans se limiter aux aspects de sécurité énergétique et en affirmant de fortes convictions.
Les prix de l’électricité et du gaz (et par conséquent des engrais) ont commencé à monter dès l’été 2021.
La guerre en Ukraine a accentué cette tendance et mis en lumière les conséquences des choix de certains États européens : l’Allemagne a misé principalement sur le gaz, notamment le gaz russe, pour remplacer le charbon tout en fermant ses centrales nucléaires. Il apparaît maintenant que les ONG vertes allemandes ont été influencées par le fournisseur de gaz russe Gazprom, qui y a consacré plus de 300 millions d’€, pour parer le gaz de toutes les vertus (il émet moitié moins de CO2 que le charbon, mais cette moitié existe, elle n’est pas nulle !). Cela sans parler de l’embauche de l’ancien chancelier Schroeder pour les gazoducs Nordstream, aujourd’hui indisponibles…
Il ne doit plus y avoir de ventes de voitures neuves à moteur thermique en 2035 : saura-t-on créer à temps les usines de production d’électricité et d’hydrogène pour alimenter les voitures neuves n’émettant pas de CO2 ?
Le nucléaire demande du temps pour reprendre et concrétiser son développement, la seule solution à court terme est d’accélérer sur le renouvelable photovoltaïque. Pour cela il faut simplifier les procédures, pour éviter des autorisations en cascade et des contestations interminables, c’est le but des textes sur le « fast track du renouvelable ». Mais il faut aussi se préoccuper de la fabrication de panneaux photovoltaïques en Europe, pour éviter de trop dépendre des importations de Chine.
Le plan Repower EU prévoit d’abord des actions d’économie d’énergie et une diversification des approvisionnements en gaz et pétrole, des achats de gaz en commun par plusieurs pays européens, ainsi qu’un fort développement (doublement) du solaire photovoltaïque, le développement d’une filière hydrogène, le développement du biogaz et des moyens de stocker l’électricité.
Les montants consacrés à ce plan sont considérables : 300 milliards d’€ sur la période budgétaire 2021-2027, en utilisant notamment des reliquats de crédits non dépensés dans la période 2014-2020.
Quelques chiffres : près de 40 milliards d’€ pour la filière hydrogène, 29 milliards d’€ pour adapter les réseaux électriques à une part accrue de renouvelable (dont la production n’est pas réglable).
Repower EU ne prévoit rien pour le nucléaire : Mme Tolleret indique qu’elle a voté pour un amendement incluant le nucléaire, mais le résultat du vote au Parlement européen a été négatif.
En plus de Repower EU, le Parlement européen travaille sur d’autres sujets concernant aussi la sécurité énergétique :
sortie du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). Le TCE, signé en 1994 par une cinquantaine d’États (dont ceux de l’UE) et entré en vigueur en 1998, permet à un investisseur d'un État partie au TCE d'agir contre l'État hôte de son investissement devant un tribunal arbitral s'il estime que cet État hôte a manqué à ses obligations en matière de protection des investissements. Concrètement par exemple : si un investisseur a construit et exploite une centrale électrique au charbon dans un État, il peut se faire indemniser par cet État si celui-ci a adopté un texte défavorable aux centrales au charbon. La France a récemment décidé de sortir du TCE, qui est un frein pour la transition énergétique.adoption d’une taxe européenne sur les profits exceptionnels (ou superprofits) des entreprises du secteur de l’énergie avec la très forte hausse des prix.
adoption d’une taxe européenne sur les profits exceptionnels (ou superprofits) des entreprises du secteur de l’énergie avec la très forte hausse des prix.
adoption de prix-plafonds de l’énergie (gaz et électricité) pour les familles à faibles revenus.
le public intéressé par le sujet a participé au débat qui a suivi la conférence
Enfin Mme Tolleret a abordé deux autres sujets, en réponse à des questions :
les droits des femmes. Elle indique que dans ce domaine la France est bien placée en Europe : la création d’un indice pour l’égalité femmes-hommes a été efficace, même s’il y a encore beaucoup d’inégalités. Au Parlement européen elle s’occupe en particulier beaucoup de la question de l’avortement : par exemple en Pologne le fœtus est considéré dès le début comme un être vivant et par conséquent l’IVG est un crime.
le récent scandale de corruption au Parlement européen. Ce point est développé dans un article particulier.
Jean-Jacques SMEDTS
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