La Pologne défie l'UE sur la primauté du droit européen
Le Tribunal constitutionnel polonais a jugé le 7 octobre que certains articles des traités européens étaient incompatibles avec la constitution nationale et qu'ils sapaient la souveraineté du pays. Le gouvernement a applaudi, « refusant d'être soumis aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ».
« Des organes européens agissent au-delà de leurs compétences », a déclaré la présidente du Tribunal constitutionnel polonais. Elle a dénoncé « l'ingérence de la Cour de justice de l'UE dans le système juridique polonais… … La République de Pologne ne peut pas fonctionner comme un État souverain et démocratique si elle permet à l'Union européenne d'influencer des domaines dans lesquels elle n'a pas cédé de pouvoirs à l'Union ».
Le gouvernement de Mateusz Morawiecki, qui avait saisi la juridiction polonaise, a applaudi cette décision, assurant qu'elle indique clairement que l'Union ne peut pas s'immiscer dans le système judiciaire du pays et confirme « la primauté du droit constitutionnel sur les autres sources de droit ».
C'est une véritable attaque contre l'Union européenne, dont le fonctionnement repose sur une hiérarchie des règles, les règles européennes l'emportant sur les règles nationales dans les domaines relevant de la compétence de l’UE (voir l’article de la lettre Europe d’octobre : Droit européen, droit national : quels liens entretiennent-ils ?). Cela fait des mois que la Pologne provoque les institutions de l’UE autour de cette question centrale de la primauté du droit européen, refusant d'appliquer des directives et des jugements sur les migrants, l'environnement ou les institutions judiciaires.
L'UE s’oppose depuis plusieurs années aux mesures adoptées par le gouvernement polonais pour prendre la main sur son système judiciaire et contrôler les médias et les ONG. Sous prétexte de purger son système judiciaire de son « héritage communiste », par des réformes le gouvernement a instauré peu à peu un contrôle politique sur les juges. La Cour de justice de l’UE (CJUE) s'en est prise en particulier à la loi polonaise sur le Conseil national de la magistrature (KRS) et plus récemment à la mise en place début 2020 d'une chambre disciplinaire au sein de la Cour suprême polonaise ; le 14 juillet 2021, la CJUE a ordonné à la Pologne de faire cesser immédiatement les activités de cette chambre disciplinaire, chargée de superviser les juges, avec le pouvoir de lever leur immunité ou réduire leurs salaires. Le tribunal polonais, qui compte de nombreux juges nommés par le parti au pouvoir, a immédiatement estimé que la Pologne n'était pas tenue de se conformer aux ordonnances provisoires de la CJUE.
La Pologne vient-elle de faire un pas vers un « Polexit juridique » ? Cela a déclenché des manifestations et contre-manifestations en Pologne et va en tout cas bloquer toute chance pour Varsovie de recevoir rapidement sa part des fonds européens du plan de relance Next generation EU, alors que la Pologne doit être une des principales bénéficiaires de ce plan, avec 57 milliards d'€ prévus. Jusqu'ici la Commission européenne, soutenue par le Parlement, n’a toujours pas approuvé le plan d’utilisation de ces fonds par la Pologne et refuse tout versement tant que la Pologne ne respecte pas l'ordre juridique européen, et cela même si le mécanisme subordonnant l’allocation de fonds européens au respect de l’état de droit, adopté fin 2020 par les 27, n’est pas encore entré en vigueur. Ce mécanisme a d’ailleurs été contesté par la Pologne et la Hongrie devant… la CJUE !
L'UE n'échappera peut-être pas à un débat politique et juridique sur la primauté des textes européens sur ceux des États membres. Récemment, la Cour constitutionnelle allemande a par deux fois remis en cause la légalité de décisions européennes, sur la dette commune européenne et sur le programme de soutien à l’économie de la Banque Centrale Européenne, avant d’accepter les arguments européens.
Source principale : lesechos.fr
Comments