L’UE et le Mercosur, des enjeux géostratégiques et économiques
L’UE et le Mercosur, des enjeux géostratégiques et économiques contrastés !
L'UE et le Mercosur sont parvenus, en 2019, à conclure un accord d'association commercial et politique pour établir une zone de libre-échange. Alors que la question de la signature de cet accord fait actuellement débat au sein des différents gouvernements de l'UE, un audit de la Commission européenne a révélé le manque de traçabilité de la viande bovine exportée par le Brésil.
Le 26 mars 1991, le traité d'Asunción crée l'accord du Mercosur (de l'espagnol Mercado Común del Sur) constitué de membres fondateurs - l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay (le Venezuela a été suspendu en 2017) - rejoints par la Bolivie en décembre 2023. D'autres États sont membres associés : Chili, Colombie, Équateur, Guyane, Pérou et Suriname.
Le Mercosur repose sur la libre circulation des biens et des services ; l'établissement d'un tarif extérieur commun et l'adoption d'une politique commerciale commune vis-à-vis des États tiers. A cela s’ajoute une coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles entre les États parties dans les domaines du commerce extérieur, commerce agricole et industriel. On peut donc comprendre que cette coordination implique une réciprocité des politiques sectorielles qui pose question quant à l’équilibre de cette réciprocité en fonction des enjeux stratégiques des deux parties.
L'accord prévoit une importante réduction des barrières tarifaires qui doit faciliter aux entreprises européennes l'accès à des marchés en croissance. Les entreprises européennes devraient également bénéficier d'une plus grande ouverture des marchés publics des pays du Mercosur. Ces effets du libre-échange ne préjugent pas d'effets redistributifs négatifs pour certains. Concrètement, l'accord devrait permettre aux entreprises européennes d’exporter davantage de produits industriels et de services. En retour, les producteurs du Mercosur devraient pouvoir exporter plus de produits alimentaires et agricoles vers l'UE. Il est pour cette raison souvent présenté comme un accord "viandes contre voitures".
Une limite maximale sera appliquée à la quantité de produits agroalimentaires importés du Mercosur qui bénéficient de droits de douane moins élevés :
99.000 tonnes pour la viande bovine : 1,6 % de la production totale de l’UE par an
25.000 tonnes de viande porcine : 0,1 % de la production totale de l’UE par an
180.000 tonnes pour les volailles : 1,4 % de la production totale de l’UE par an
Le Mercosur, qui représente plus de 80% du PIB de l'Amérique du Sud, est le quatrième bloc économique de libre-échange au monde, après le Partenariat économique régional global (RCEP) en Asie (la Chine et 14 pays de la région Asie-Pacifique), l'Alena (les États-Unis, le Canada et le Mexique) et l'Union européenne (UE).
Pour l’UE, il s'agira du plus important accord de libre-échange conclu puisqu'il concernera presque 800 millions de personnes.
L'UE essaie de diversifier ses échanges et d’aller progressivement vers une économie verte. Elle cherche à mieux maîtriser sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine, notamment dans les secteurs critiques.
Les crises intervenues depuis 2000 - crise climatique, crise financière, suivie de la crise pandémique, puis la guerre en Ukraine - ont transformé le commerce mondial. Elles ont mis en évidence les dangers de guerres commerciales d'un côté, et de l'autre la question de la dépendance aux importations depuis certains pays.
Donc une recherche de nouveaux débouchés pour les entreprises européennes mais aussi une plus grande diversification des approvisionnements, notamment en matière de minerais stratégiques comme le lithium (essentiel à la transition écologique et dont ces pays possèdent de grandes réserves), mais aussi le cobalt et le graphite, tous utilisés dans la construction de voitures électriques.
L'agriculture fait partie des secteurs concernés par cet accord mais l'accord concerne aussi l'industrie automobile, la chimie, le secteur pharmaceutique, le textile et les services. L'accord ne permet pas de dissocier l’agriculture des autres secteurs, tout accord de libre-échange étant un échange de concessions. Certains secteurs devraient donc enregistrer des gains (industrie, services), d'autres pourraient en pâtir (certains secteurs agricoles et alimentaires) et c’est pour cela que certains font entendre leur opposition.
Tout le secteur agricole n'est pas concerné de la même manière par l'accord : si la filière bovine ou le secteur du sucre peuvent être fragilisés en cas de baisse des prix sur les marchés européens à la suite de la hausse des importations du Mercosur, d'autres, comme celui du vin, des spiritueux ou du fromage, pourraient profiter de l'accord.
L'exemple néerlandais apporte un éclairage intéressant sur ce qui se joue dans cet accord. D'un côté, Marhijn Visser, Secrétaire international du VNO-NCW ( regroupant 300 000 entreprises néerlandaises) déclare : « L'accord commercial du Mercosur est important pour les Pays-Bas et le monde des affaires néerlandais pour de nombreuses raisons 1) Géopolitique ; La Chine est déjà très active dans la région. 2) matières premières ; les pays du Mercosur disposent de matières premières importantes pour l’UE. 3) Durabilité ; Sans accord UE-Mercosur, il n’y a pas de titre pour parler de durabilité. Et bien sûr 4) économique : un accord réduit les tarifs d’importation et élargit l’accès au marché ». Les Pays-Bas regardent donc surtout leur entrée sur le marché sud-américain.
Pourtant, de l’autre côté la Chambre des représentants a déjà voté à deux reprises contre l’accord commercial UE-Mercosur car les textes ne sont pas encore définitifs. C'est étonnant pour un pays aussi traditionnellement commerçant que le parlement néerlandais ait adopté cette position. Pourquoi ? Parce que les Pays-Bas souhaitent que les accords commerciaux contiennent des accords de durabilité solides…
Cependant, le président Lula l'a déjà indiqué : de nombreux pays n'ont aucun appétit pour le « colonialisme durable » européen.
La question de la traçabilité pose aussi question puisque certains pays comme le Brésil n’appliquent pas de normes équivalentes à celles de l’Europe. Également la question du contrôle des produits importés en Europe se pose. Il ne s’agit pas d’imposer des normes mais bien de pouvoir fixer les règles sur le marché européen et de pouvoir les contrôler avec efficacité. En l’état actuel, rien n’est encore clair.
Enfin, et c’est là à mon sens, la question centrale, se pose la cohérence européenne entre ses ambitions climatiques et cet accord commercial. En effet, si l’on veut être cohérent avec l’accord de Paris et les trajectoires climatiques définies par l’UE ; ce dernier doit devenir un préalable intégré et respecté dans cet accord de commerce. Il en va de la durabilité de nos écosystèmes européens et de notre volonté d’atteindre les objectifs, en autres de décarbonation, définis dans l’accord de Paris. Or la commission européenne ne donne pas pour l’instant de garanties satisfaisantes dans ce domaine dans sa mise en œuvre.
La durabilité de cet accord commercial ne doit pas s’appliquer seulement au niveau commercial mais aussi au niveau climatique et environnemental.
La France comme d’autres pays européens s’opposent aujourd’hui à cet accord non pas sur son principe mais sur les garanties de sa mise en œuvre dans les grands dossiers européens notamment climatiques. Cette cohérence environnementale et climatique affichée par la France et suivie par la Belgique ou la Pologne doit être le compas stratégique de toutes négociations commerciales avec une autre partie du monde.
Note : En France, l’Assemblée nationale a approuvé, mardi 27/11, la déclaration du gouvernement français qui s’oppose à la signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur dans sa version actuelle avec 484 voix pour la déclaration et 69 contre.
La France rallie la Pologne pour tenter de constituer une minorité de blocage contre l’accord. Hormis Paris et Varsovie, l’Autriche, la Belgique ou encore les Pays-Bas s’inquiètent des conséquences qu’aurait cet accord de libre-échange sur leur agriculture.
Véronique Jullian Vice-présidente de la Maison de l’Europe de Nîmes 28/11/2025
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