Frontières maritimes et gaz naturel en Méditerranée orientale: la discorde
Des gisements de gaz ont été découverts en Méditerranée orientale, à grande profondeur. Occasion d'une coopération entre les pays riverains pour les exploiter? Malheureusement non, au contraire, chacun veut la plus grosse part et cherche à arranger à sa façon les frontières maritimes de la région.
Les règles générales internationales (conventions de 1958 et 1982) pour délimiter les droits des pays riverains sur des zones maritimes.Chaque Etat côtier étend sa souveraineté sur une zone de mer de 12 milles marins (22,2 km). Ce sont les eaux territoriales. Lorsque l'espace est limité, "ces eaux font l'objet d'accords entre Etats, selon le principe de l'équidistance entre les côtes".Au-delà des eaux territoriales, chaque Etat côtier a des droits souverains sur une zone économique exclusive d'un maximum de 200 milles marins (370 km) pour l'exploration, l'exploitation et la conservation. Lorsque l'espace est limité: accords bilatéraux comme ci-dessus.Se superpose à ces règles la notion de plateau continental: les Etats côtiers ont des droits souverains sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre jusqu'aux limites de la "marge continentale" (rupture de pente pour plonger vers les abysses). Si le plateau continental a moins de 200 milles, les droits s'étendent jusqu'à 200 milles comme ci-dessus.
Dans la Méditerranée orientale, l'espace est limité et le tracé des côtes est complexe, avec des îles. Et les différends terrestres se prolongent évidemment pour la répartition des ressources des fonds marins! Les gisements de gaz ont avivé ces tensions.
En résumé:
- les îles grecques proches de la côte turque réduisent l'espace maritime de la Turquie, ce que cette dernière conteste. La Grèce accepte pour le moment, pour éviter que la Turquie n'ait pratiquement aucun droit en mer Egée, de limiter ses eaux territoriales à 6 milles au lieu de 12 autour de ses îles proches de la côte turque.
- l'occupation du nord de Chypre par la Turquie (qui est la seule à reconnaître la République turque de Chypre du nord, RTCN) entraîne la revendication par la Turquie de droits maritimes au large des côtes de cette "RTCN", alors qu'internationalement la République de Chypre est reconnue comme étant souveraine sur toute l'île et les zones maritimes correspondantes
- pour tenter d'améliorer sa position, Turquie a signé en novembre 2019 avec la Libye(dont elle soutient le gouvernement légal) un accord qui prétend délimiter un partage des plateaux continentaux. Cet accord étend le plateau continental turc jusqu'à une jonction avec le plateau continental libyen. Il ne tient pas compte de la souveraineté de la Grèce au large de la Crète et de Rhodes, ni de la petite île grecque de Kastellorizo (9 km2, 500 habitants) qui est à moins de 7 km) de la côte sud de la Turquie. Cet accord ne sera certainement pas approuvé par l'ONU.
- Chypre a signé des accords de délimitation des espaces maritimes avec l'Egypte, Israël et le Liban
- le Liban et Israël ont un désaccord sur une zone maritime de 860 km2: c'est le prolongement en mer d'un désaccord sur le tracé de leur frontière terrestre
- le prolongement maritime de la bande de Gaza est pour le moment "gelé", alors qu'un gisement de gaz y a été repéré mais reste inexploré (pas de forages).
Entre repérer des gisements de gaz et les exploiter il y a plusieurs étapes: forages de reconnaissance pour mieux estimer la richesse du gisement (volume, limites, qualité du gaz), puis forages d'exploitation, et pose des conduites d'amenée du gaz à la côte et sur les lieux de consommation; enfin si le gaz doit être exporté il faut prévoir des gazoducs ou des usines de liquéfaction pour que le gaz liquéfié soit transporté par bateau.
Pour le moment les champs gaziers Léviathan (à 130 km de la côte israélienne) et Zohr sont déjà en exploitation, respectivement par Israël et l'Egypte. La carte montre leurs situations et les gazoducs existants et ceux prévus pour exporter une partie du gaz vers l'Europe.
L'Egypte, qui exploite du gaz depuis longtemps, a un atout: deux usines de liquéfaction existantes. Israël est relié à l'Egypte par un gazoduc sous-marin qui contourne la bande de Gaza, et livrera du gaz à l'Egypte alors que pendant longtemps le flux a été en sens inverse.Mais les gisements sont beaucoup plus importants que les besoins des pays riverains et il est prévu d'exporter vers l'Europe par un gazoduc sous-marin passant par Chypre puis la Crète et la Grèce continentale où le gazoduc "East Med" se raccorderait au réseau européen, tout cela évitant de passer par la Turquie, solution moins coûteuse mais politiquement risquée... Chypre, la Grèce et Israël ont signé en janvier un accord pour réaliser ce gazoduc, mais le financement n'est pas encore réuni. Cela d'autant plus que le coût de production du gaz est-méditerranéen est élevé à cause de la grande profondeur, dans un contexte mondial de production de gaz supérieure à la demande, d'où une nette baisse des prix.
Comments