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Nuages sur la démocratie en Europe centrale


Pourquoi cette vague de nationalismes en Europe centrale? Sous-estime-t-on les rancœurs correspondant aux redécoupages imposés aux perdants de la 1ère guerre mondiale par les traités de 1919 et 1920 (démembrement de l'empire austro-hongrois... mais aussi rétablissement d'une Pologne indépendante) et la force des questions ethniques dans cette mosaïque de nationalités? Un conseil: ne prononcez pas le mot Trianon en Hongrie, c'est le nom du traité qui a considérablement réduit le territoire hongrois !!

Et surtout ne néglige-t-on pas trop le fait que la démocratie ne s'acquiert pas en quelques dizaines d'années? Ce qui pour les Français est maintenant devenu naturel est le résultat de deux siècles d'évolution politique, avec des cahots et des soubresauts, voire des retours en arrière!

Trois Etats membres de l'UE font particulièrement parler d'eux depuis quelques mois ou semaines, l'Autriche, la Pologne et la Hongrie. La Roumanie attire aussi l'attention, par ses difficultés à éradiquer les pratiques de corruption.

L'Autriche. Le 16 décembre 2017, le nouveau et tout jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz, 31 ans, leader du parti conservateur OVP (Parti populaire autrichien) a annoncé la composition de son gouvernement, où le parti d'extrême-droite FPO (Parti autrichien de la liberté...) prend une part très importante.

Trois ministères régaliens sont attribués au FPO: affaires étrangères, défense et intérieur. S'y ajoutent des ministères non régaliens: santé et affaires sociales, transports. Le chef du FPO est vice-chancelier et chargé des sports et de la fonction publique.

Sebastian Kurz était ministre des affaires étrangères dans le gouvernement précédent. Il garde les affaires européennes: façon de ne pas trop inquiéter l'Union européenne, qui avait mis à l'écart l'Autriche lors d'une première participation de l'extrême-droite au gouvernement (Jörg Haider, au début des années 2000)?

Le programme de gouvernement prévoit que les citoyens italiens de la Région autonome de Bolzano - Haut Adige parlant l'allemand (région que les Autrichiens appellent Tyrol du sud) se voient attribuer une double nationalité: l'autrichienne en plus de l'italienne. L'Italie n'a certainement guère apprécié! Le gouvernement autrichien imite les gouvernement hongrois, qui entend faire de même pour les citoyens de langue hongroise des pays limitrophes, ou roumain, qui donned es passeports roumains aux citoyens de Moldavie qui parlenr le roumain.

Le président écologiste autrichien Alexander Van der Bellen (issu d'une famille néerlandaise installée depuis le 18ème siècle en Russie puis en Estonie après 1917; ses parents étaient venus d'Estonie en Autriche comme réfugiés après l'occupation de l'Estonie par l'URSS) sera un faible rempart contre les projets politiques du gouvernement.

La Pologne. Le parti conservateur et nationaliste Droit et justice (PiS en polonais) cherche depuis longtemps à mettre au pas la justice, alors que la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice sont un des fondements de la démocratie. Même l'histoire récente est "revisitée officiellement" et les professeurs fortement invités à l'enseigner de façon patriotique,

Le 20 décembre 2017 la Commission européenne a demandé au Conseil européen (chefs d'État ou de gouvernement) "d’activer l’article 7 du traité de l’UE à l’encontre de la Pologne" afin de constater "un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs de l’UE", selon le premier point de l'article. L'application de l'article 7 peut aller, si la procédure est menée à son terme, jusqu'à priver le pays de ses droits de vote dans l'UE. Depuis janvier 2016, la Commission européenne tentait de convaincre le gouvernement polonais de modérer ses projets, avec un dialogue régulier: trois recommandations et vingt-cinq échanges de lettres ont précédé la décision de déclencher l'article 7 sans toutefois empêcher l’adoption de plusieurs lois litigieuses.

Quoi qu'il en soit, une fois que les quatre cinquièmes des États membres auront approuvé l'activation de l'article 7, l'unanimité est requise pour décider des sanctions. Varsovie est bien consciente que la procédure, aussi humiliante soit-elle, n'aboutira probablement pas: "Nous savons déjà que la Hongrie votera contre". Car Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, mène également une stratégie de déconstruction lente mais méthodique des principes de séparation des pouvoirs. Certains diplomates s'interrogent ausssi sur l’attitude du nouveau pouvoir autrichien lorsqu’il s’agira de rappeler Varsovie à l’ordre par un vote.

Les sanctions politiques semblant exclues, la question financière pourrait éventuellement être exploitée. Or les négociations autour du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, à l'issue desquelles l'allocation des fonds structurels européens sera notamment déterminée, ont déjà commencé.

La Pologne est le plus gros bénéficiaire des fonds européens, avec 100 milliards d'€ (fonds structurels et PAC) entre 2014 et 2020. L'article 7 pourrait alors être interprété comme un sérieux avertissement. D'autant plus que le Brexit va amputer le budget européen d'environ 10 milliards d'€ par an.

Le 9 janvier le nouveau Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, en poste depuis 1 mois, a annoncé un remaniement de son gouvernement, remplaçant plusieurs ministres appartenant à l'aile dure du parti Droit et justice par des personnalités plus modérées. Cette décision, qui vise à réchauffer les relations entre Varsovie et Bruxelles, est intervenue avant sa rencontre, le même jour, avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.

La Hongrie. Comme dit plus haut, le parti nationaliste Fidesz dirigé par Viktor Orban, premier ministre depuis 2010, mène une stratégie de déconstruction méthodique des principes de séparation des pouvoirs. La justice est mise aux ordres du pouvoir, les médias sont mis au pas, les organisation étrangères sont désignées comme des "ennemis du pays", le parti est partout, profitant de la désunion de l'opposition, et bâtit un Etat "illibéral" (sic). Le principe de centralisation est le cœur de la philosophie du Fidesz: cela découle probablement de la frustration des années 1990, où la séparation des pouvoirs a été vue comme un frein à la capacité d'action d'un pouvoir politique ballotté par la mondialisation.

La promesse implicite d'Orban à ses électeurs est de les protéger des agressions extérieures. D'où l'instrumentalisation qu'il a faite de la lutte contre l'immigration, dans un de ces « eux contre nous » dont il a le secret, en blâmant l'Union européenne et Angela Merkel face aux migrants. Xénophobie d'ailleurs platonique puisqu'il n'y a pas de migrants en Hongrie!

Pourtant, à Bruxelles, où il exaspère souvent, Viktor Orban reste perçu comme plus modéré que les dirigeants polonais, car moins idéologue, et il sait jusqu'où ne pas aller trop loin. Passé maître dans l'art de la provocation, le dirigeant hongrois a eu maintes fois maille à partir avec l'Union européenne, mais il a toujours su faire la petite concession qui lui évitait de se retrouver mis au ban de l'UE.

En jouant le protecteur de la nation, Orban prend toutefois un risque. Car le diagnostic économique n'est guère encourageant: si le chômage a reflué, grâce à des emplois publics, la croissance est largement portée par les financements européens. Parmi les membres du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque), la Hongrie était 2ème en PIB par habitant il y a quinze ans, et elle est désormais dernière. Il n'y a pas eu de nouveaux investissements étrangers. Un signe tangible de cette déception, c'est l'émigration des jeunes et des plus compétents, un demi-million seraient déjà installés à l'étranger.

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